21 Juillet 2021, les sacs sont faits, on part en milieu d'après-midi pour le Pont d'Espagne. Objectif: la Face Nord de Pique Longue, massif du Vignemale. Une des plus belles Classiques des Pyrénées. On fait le choix de passer par le refuge des Oullettes de Gaube, gros dilemme, mais l'envie de faire un bivouac bien installé au pied de la face et surtout de grimper le plus léger possible l'a emporté et nous optons donc pour l'option avec le retour le plus long. En effet, l'itinéraire par Baysselance facilite le retour mais oblige à dormir au refuge. Pas toujours possible en haute saison.
Je ne sais pas pourquoi mais j'ai toujours l'impression que cette vallée est plus courte que ça. C'est peut être ces longs plateaux qui n'en finissent pas ou peut être les sacs bien chargés pour la course. Au bout de deux heures et demi, finalement, les lieux nous récompensent, un troupeau de cinq isards pâturent en face ouest deux cent mètres avant le refuge et profitent des derniers rayons de soleil. Une marmotte nous accompagne quelques instants avant de se réfugier dans un terrier. Le spectacle est apaisant.
En arrivant aux Oulettes, le refuge est rempli, ce n'est pas étonnant, nous sommes fin juillet et la saison bat son plein. Une des raisons de notre itinéraire. L'évolution de la fréquentation se fait sentir. La montagne est chaque année un peu plus courtisée. Le changement doit être pris au sérieux. Le développement de nos montagnes requiert une attention constante pour ne pas être envahies de projets économiques où la nature est mise en second plan et où seule la rentabilité à court terme est prise en compte. Bref je m'égare...
Au refuge donc nous profitons d'une pause pour préparer nos lyophilisés. Poulet au curry de TrekN'Eat. Je sais pas si ce sont les meilleurs mais c'est en tout cas efficace et ça fait le job.
Une fois repus, direction le bivouac. Nous continuons sur le plateau jusqu'à une zone de gros blocs où nous trouvons le spot parfait. Photo à l'appui.
Entre ces gros blocs, on se sent protégé. L'herbe épaisse à cette altitude est confortable. le corps se relâche et la tête se perd dans l'infini des étoiles. L'obscurité est là, nous éteignons les frontales. Le son de la brise nous berce et nous permet d'identifier les reliefs aux alentours. Les ruisseaux frémissent. C'est la sensation d'une nuit en montagne, à l'air libre, se sentir tout petit au milieu des éléments.
Cette nuit là, le repos est confortable, plus que d'habitude, je me laisse tomber dans les bras de Morphée mais une inquiétude revient régulièrement dans mes rêves. Le bulletin météo n'est pas très stable depuis quelques jours. Des orages sont annoncés demain en fin de journée et l'heure ne cesse d'avancer. Avant de partir le bulletin prévoyait orages à 17/18h00. Ça devrait passer en sortant avant 14h00 au sommet. Horaire respectable avec un peu de marge. Notre ambition est d'aller vite dans la voie, ne pas trainer et enchainer le long retour jusqu'à la voiture. Ça fait une grosse journée mais c'est faisable avec l'habitude.
Le réveil sonne, quatre heures et quart. Une première respiration, une bouffée de motivation et le corps se redresse. Quel temps fait-il? Y a-t-il des nuages? Comment je me sens? Bien, il fait bon, presque trop chaud pour le coin. La brise réveille les sens. Le réchaud s'allume, l'eau commence à frémir. Encore quelques secondes pour que le liquide bout et que j’y jette le sachet de thé vert. La première gorgée réchauffe le corps et les cinq minutes qui suivent permettent de se mettre dans le jus. Il faut se concentrer pour la journée qui nous attend. On doit être à 7h00 au pied de la face. Il est temps de ranger les affaires, de prendre le strict nécessaire et bien faire les lacés.
Sur la montée jusqu'au glacier l'esprit est un peu surchargé. Il faut se concentrer pour marcher, le sentier n'est pas vraiment défini et dans le noir de l'aube chaque pas demande de l'attention. Je me remémore aussi le topo en identifiant chaque partie de la paroi, chaque tronçon difficile. La cotation de la voie n'est pas très élevé mais les huit cents mètres en face nord imposent le respect. Malgré la préparation et la marge technique que nos avons pris, le stress est là face à l'inconnu. Je crois que j'adore cette sensation. Un mélange d'appréhension et d'excitation qui me fait toujours réfléchir à deux fois avant de me lancer. Partir à l'aventure demande un certain engagement personnel mais calculer les risques et penser souvent au pire me prépare psychologiquement. D'ailleurs quand je grimpe, cette pensée est souvent là et me force à évoluer en sécurité.
Depuis le réveil, j'ai noté un nuage un peu bizarre qui stagne au dessus du col des Mulets. Il est actif. On dirait l’âne du Montblanc. Il est sans cesse en mouvement mais il stagne au dessus du col. Le nuage travaille, s'enroule sur le relief. Je ne suis pas expert en météorologie mais ce petit bout de coton ne m'inspire pas confiance. Attention perturbation en approche…? Peut-être de l'air chaud qui arrive du versant espagnol et qui rencontre un air plus froid du coté français. Une annonce de changement de temps rapide? Il n'en faut pas plus pour me convaincre que aujourd'hui il faut aller vite.
Nous arrivons au pied du filon d'ophite verte. Un petite plaquette de l'autre coté de la rimaye confirme l'emplacement. Mère Nature nous donne un coup de mains, l'espace est franchissable aisément. Sans perdre de temps nous commençons l'escalade. Quand j'arrive au premier relais, j'aperçois deux personnes qui s'approche sur le glacier. Ils évoluent rapidement et de manière fluide. nous commençons à peine à repartir qu'il sont déjà devant. Ils le resteront et disparaîtront dans l'arête intermédiaire. Juste le temps d'échanger quelques mots, ils sont de Chamonix me dit le type. Il porte l'écussons de GHM. Elle, en second, le suit agilement et sûrement. Je pense qu'elle est peut-être "Aspi".
Durant la troisième longueur je m'aperçois que nous n'allons pas assez vite. J'aime pas courir mais être efficace, oui. Nous prenons alors une décision. Je suis plus habitué que mon partenaire au terrain montagne, j'ai bien étudié la voie, je vais donc continuer en tête et en corde tendue pour la suite. Nous allons au total poser sept relais sur l'itinéraire.
L'ambiance dans la face est spectaculaire. On se retrouve dans ce décors de géants où l'on a du mal à évaluer les perspectives, les dimensions. L'escalade est relativement aisé mais il faut rester concentré. La roche par endroits demande de l'attention. Ça fait parti du jeu. Ça déroule en corde tendue. Quelques Friends, quelques pitons. Nous avançons bien.
Quand nous arrivons sur l'arête intermédiaire nous prenons conscience de la beauté des lieux. Le rocher est parfait. Le vide bien présent mais le tracé logique de la voie rassure dans le cheminement. Les deux longueurs clés sont de loin les plus belles. Difficile de trouver une telle ambiance dans ce grade de difficultés. Grandiose!!!
La suite en revanche devient plus sévère dans l'engagement de la cordée. Le rocher, très friable demande une grande concentration. La pose de protection est difficile et toute relative. On marche sur des oeufs jusqu'à la sortie sur l'Arête de Gaube. Moment paradoxal du cheminement aisé et du danger objectif. Ça forge le mental. C’est l’Éveil des Sens.
Entre temps quelques nuages ont pointé leurs nez mais rien d'inquiétant. Le ciel n'est pas chargé.
Les cents derniers mètres d'ascension se font sentir pour mon coéquipier. C'est un bon grimpeur mais il a moins l'habitude de la montagne. Et puis on a pas mal envoyé ces derniers jours. De mon coté, l'énergie est là, l'euphorie aussi. On sort de la voie en moins de six heures.
On arrive au sommet, un pur régal. Le temps de poser les affaires, boire un coup, on discute avec deux gars du coin. L'un de Lourdes, 62 ans, père d'un jeune guide et qui a fait 52 fois le Vignemale. Un Bigourdan. L'autre, natif du coin mais vit coté espagnol depuis vingt ans. Discussion de montagnard pendant 5 minutes. Soudain le second nous dit que ça va péter. On se retourne et on voit le ciel se chargé à vitesse grand V. Ça rentre plein sud! Le temps de ranger le sac avec toute la quincaillerie, l'électricité statique se fait sentir. Les poils des bras s'hérissent avec une rare intensité. Faut se tirer d'ici, et vite. Cinquante mètres sous le sommet nous rencontrons un groupe devant la grotte du Paradis. En m'approchant je reconnais des têtes. Guillaume, Mathieu!!! qu'est ce que vous faites là? "On vient dormir dans une des grottes Russel!" Mais en l'espace d'un moment le temps tourne vraiment au mauvais. Maintenant il pleut fort, il tombe des cordes même. Il est urgent de descendre la partie rocheuse et se mettre à l'abri le plus bas possible. Tout le monde prend le pli. Pendant la descente des cents mètres de rocher schisteux le tonnerre tombe. Une, deux, trois, quatre fois, je sais plus. Ça tremble, tout tremble. L'eau commence à ruisseler, c'est peut-être des ruisseaux même. Quand j'arrive sur le glacier je me sens un moment soulagé jusqu'à ce que tonne à nouveau le tonnerre.
Il est au dessus de nous. À quelques mètres au dessus de nos têtes. On a l'impression que les éclairs nous touchent à chaque impact. Nous continuons à descendre, sur le glacier nos silhouettes ressemblent à des paratonnerres, Nous sommes en plus chargé de tout le matériel de grimpe... Le vacarme me glace le sang.
Soudain, alors que je me trouve sur le glacier au niveau de la Pointe Chausenque, un éclair frappe le sommet. Je me retourne et aperçois les dégâts. Tel une bombe, les cailloux volent et de la fumée et des poussière s'en échappent. Un bout de rocher d'un mètre d'envergure nous passe à quelques mètres. Le spectacle est hallucinant, la situation terrible. Je me trouve là à admirer la puissance de la nature comme pris par le spectacle mais faut pas rester ici. À cet instant, je pense au pire. Nous sommes une dizaine de personnes sur le glacier. Nous fuyons. Chaque impact de foudre peut être fatal. On court avec l'épée de Damoclès au dessus de la tête. Une sensation fort désagréable. En arrivant en bas du glacier je me retourne mais je ne vois pas Sergio. Mathieu et Guillaume me rejoignent. Il nous manque du monde!!! À cet endroit, nous sommes plus ou moins protégés. En contrebas du petit Vignemale, à coté d'un ruisseau. Mais l'orage est toujours au dessus de nous. Je jette mon sac à une dizaine de mètres et je m'agenouille. Je ne peux rien faire de plus. Il faut laisser passer et surtout attendre les autres. Au bout d'un long moment, nous apercevons les ombres. Elles descendent. C'est un soulagement mais le stress est encore présent. Nous descendons nous mettre à l'abri dans les grottes Bellevue un peu plus bas. Mathieu et Guillaume restent eux au pied du petit Vignemale. Il leurs manque encore du monde...
À l'instant où nous arrivons à la grotte, l'orage s'éloigne. quelques rayons de soleil font leurs apparitions. Je regarde Gavarnie, ça n'a pas l'air mieux. Le temps de réorganiser les cordes et nous remontons vers Baysselance. Je suis rempli d'adrénaline. La montée se fait à bon rythme. On croise quelques personnes qui nous regarde comme si nous revenons des Enfers, il doit y avoir un peu de ça. Au refuge, on boit, on mange quelques noix. On essaie de reprendre nos esprits. Puis, on repart pour la dernière montée jusqu'à la Hourquette d'Ossoue. Dans la descente, vers les Oulettes on entend l'orage qui revient. Faut pas trainer et maintenir le rythme. Il nous faut, en plus, aller chercher les affaires qu'on a laissées au bivouac.
En arrivant au refuge des Oulettes, l'orage revient. Nous sommes en fond de vallée mais l'intensité des éléments est encore impressionnante. Nous dévalons le sentier, la Gore-tex sur le dos n'arrive pas à nous maintenir au sec. Nous sommes trempés en quelques secondes. Le pantalon colle à la peau, les chaussures sont remplies d'eau. Les éclairs tapent sur les crêtes. Ce Putain d'orage nous suit. À ce moment on veut se sentir protégé mais la brutalité des impacts autour de nous nous font sentir tout le contraire. Cette fois-ci il nous suit jusqu'au lac de Gaube en s'éloignant doucement.
Le troisième orage nous tombe dessus juste avant d'arriver au parking. Usé par la journée. Trempé comme des serpillères. Nous arrivons encore sous des trombe d'eau à la voiture. Pas le temps de se changer. On jette tout le matos dans la voiture et on démarre. Sur le trajet j'envoie un message à Mathieu pour vérifier si ils sont bien rentrés eux aussi. Et il me répond instantanément. Il était justement en train de m'écrire. Après s'être séparés, ils sont remonté sur le glacier pour récupérer leurs sacs avant de redescendre à la voiture garée au barrage d'Ossoue.
Nous arrivons à la maison avec trois heures de retard sur les prévisions. Une bonne douche bien chaude, un bon repas à la Ferme. Il est temps de récupérer et de méditer sur la journée. Et quelle journée!!! Épique!!! Quand j'y repense, on est passé pas loin de le prendre dans la face. À trente minute près, on était encore dedans. Il est difficile d'imaginer survivre à un tel orage dans la partie la plus friable de la paroi. Cela doit être un bombardement continu de pierres dans un endroit où la pose de protection est très aléatoire et la cordée très exposée. On peut voir sur la photo de la Face, après le premier orage, des chutes d'eau qui coupent l'itinéraire.
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